L’intelligence artificielle (IA) joue le rôle du client «difficile»: un projet primé a utilisé l’IA comme interlocuteur pour simuler des entretiens avec des clients. Le chef de projet Martin Berger précise que l’utilisation de l’IA ne vise pas à automatiser l’apprentissage, mais à le rendre possible.
Monsieur Berger, vous avez utilisé l’IA et la réalité virtuelle (RV) dans le cadre d’un projet visant à simuler des situations de communication délicates. Quelle est votre conclusion?
Dans le cadre de notre projet, nous avons développé un système de formation numérique qui permet aux apprentis dans le commerce de détail de s’entraîner à mener des entretiens difficiles avec des clients, via l’écran de leur téléphone portable ou de manière immersive avec des lunettes de réalité virtuelle. Au lieu de parler à de vrais acteurs, ils s’adressent à un client-avatar contrôlé par l’IA, puis réfléchissent à leur compétence en communications avec un coach virtuel. Les premiers retours d’une petite étude de terrain sont très positifs: les apprenants ont jugé les conversations réalistes et utiles, notamment pour se préparer aux situations d’examen. Ils ont pu s’exercer, commettre des erreurs et en tirer directement des enseignements, le tout dans un cadre sécurisé. J’ai été impressionné par la façon dont l’application a incité les apprenants à passer à l’action. En tant qu’enseignant et conférencier, j’ai assisté à de nombreux cours, mais je ne me souviens pas avoir jamais observé une participation verbale aussi élevée.
Quelles difficultés et questions avez-vous rencontrées?
Le plus grand défi ne résidait pas dans la technologie, mais dans la «mise au point» de l’effet pédagogique. Le client virtuel réagissait parfois de manière trop prévisible. Les émotions, les réactions spontanées ou les malentendus, tels qu’ils surviennent dans les conversations réelles, font encore parfois défaut. De même, les commentaires de l’IA étaient bien structurés, mais souvent trop généraux en termes de contenu. Ces expériences montrent que pour être utilisée à bon escient dans l’apprentissage, l’IA doit s’accompagner d’une conception pédagogique de qualité. Et cela soulève de nouvelles questions. Par exemple, comment combiner un retour automatisé avec un accompagnement humain afin que l’apprentissage reste personnalisé, même si l’interlocuteur est virtuel.
L’IA est-elle «uniquement» adaptée à ce type de jeux de rôle? Ou d’autres applications sont-elles envisageables?
Non, pas du tout. Les jeux de rôle constituent certes une entrée en matière évidente, car l’IA y démontre sa force dans le dialogue, puisqu’elle peut réagir en temps réel et assumer différents rôles. Mais son potentiel va bien au-delà. Nous voyons de grandes opportunités partout où l’apprentissage peut être soutenu par le retour d’information, l’individualisation ou la simulation. Par exemple: dans le coaching, le diagnostic des processus d’apprentissage ou la formation aux compétences décisionnelles et de résolution de problèmes. L’IA peut stimuler les apprenants de manière ciblée sans les surmener et soulager les enseignants en prenant en charge les tâches routinières et en leur laissant plus de temps pour l’accompagnement individuel.
Où voyez-vous le plus grand potentiel pour l’utilisation de l’IA dans la formation d’adultes en général?
La formation d’adultes concerne souvent des groupes très hétérogènes et un temps d’apprentissage limité. L’IA peut ici contribuer à rendre les processus d’apprentissage plus flexibles et personnalisés. Elle peut par exemple favoriser de nouvelles formes d’autocontrôle, notamment en jouant le rôle de partenaire de discussion qui pose des questions et stimule la réflexion. La véritable valeur ajoutée ne réside donc pas dans l’automatisation de l’apprentissage, mais dans la possibilité d’un apprentissage plus individualisé, plus adapté à la situation et plus dialogique.
Dans une enquête menée par la FSEA auprès des prestataires, l’IA était principalement utilisée pour la création de supports pédagogiques. Avez-vous déjà une expérience dans ce domaine? Si oui, laquelle?
Oui, c’est en effet une grande tendance et j’utilise moi-même l’IA générative en permanence. Par exemple, pour varier automatiquement les études de cas, les questions de quiz ou les scripts de jeux de rôles. De telles applications peuvent faciliter considérablement la préparation. Dans le même temps, des contrôles de qualité clairs sont nécessaires: un bon support (pédagogique) ne se crée pas en appuyant sur un bouton, mais grâce à l’interaction entre la didactique spécialisée et l’outil d’IA. Je considère ici l’IA comme une co-auteure, utile mais non autonome.
On pourrait dire que l’IA en est encore à ses balbutiements: y a-t-il encore un énorme potentiel inexploité ou le battage médiatique est-il beaucoup trop important et sera suivi d’une phase de désillusion?
Les deux affirmations sont vraies dans une certaine mesure. Le battage médiatique est important et une grande partie de ce qui est promis n’est pas encore techniquement ou didactiquement au point, ou ne se concrétisera probablement jamais sous la forme promise. Dans le même temps, nous constatons dans nos projets que les applications basées sur l’IA peuvent apporter une réelle valeur ajoutée lorsqu’elles sont intelligemment intégrées. Nous ne sommes donc pas à la fin, mais au début d’une courbe d’apprentissage. La technologie évolue rapidement et, à chaque itération, elle gagne en crédibilité, en flexibilité et en contrôlabilité. Il sera déterminant de savoir si nous l’utilisons de manière pédagogique et judicieuse.
Dans quelle mesure le rôle des formateurs et formatrices et des responsables de cours va-t-il changer?
Le rôle des formatrices et formateurs et des responsables de cours va plutôt s’élargir que se réduire. L’IA peut prendre en charge les tâches routinières, mais ce qui compte vraiment reste humain: les relations, la motivation, l’évaluation, l’orientation. À l’avenir, les formatrices et formateurs deviendront davantage des accompagnateurs d’apprentissage qui utilisent de manière ciblée des outils basés sur l’IA, évaluent les résultats de manière critique et modèrent les processus d’apprentissage. Cela nécessite de nouvelles compétences, mais aussi une certaine sérénité dans l’utilisation de la technologie. J’y vois moins une menace qu’une opportunité de redéfinir son propre professionnalisme, avec plus de temps pour l’essentiel: l’apprentissage des personnes.
Martin Berger est chargé de cours au département Secondaire II/Formation professionnelle de la HEP Zurich.
Le projet Embodied Conversational Agents a été récompensé cet automne par le Outstanding Innovation and Creativity Award lors de l’AI in Education Competition 2025 à Hong Kong.

