Une formation de codage informatique sans professeurs


Afin de répondre aux besoins pressants du marché suisse de l’emploi dans le secteur de l’informatique, l’école 42 Lausanne forme de futurs experts de haut niveau au codage informatique sans professeurs. Christophe Wagnière, son directeur, nous explique la méthodologie didactique, quelles sont les mesures de soutien et d’accompagnement aux étudiants qu’il a mis en place avec son équipe, puis pour quelle raison le cursus est gratuit pour les participants.

Entretien mené par Éric Basler avec Christophe Wagnière, directeur de l’école 42 Lausanne.

La genèse

Quelle est la genèse de votre école ?

L’école 42 Lausanne a récupéré la logique pédagogique de la première école 42, créée à Paris en 2013 par Xavier Niel (le fondateur de l’opérateur téléphonique Free), qui s’est elle-même inspirée de la méthodologie déployée par l’école informatique française réputée Epitech, qui développe la pédagogie active depuis plus de 25 ans. 

Notre méthode s’est construite à partir d’éléments fondamentaux de la méthode Montessori (initialement développée pour encadrer les enfants). Nous avons en effet repris certaines de ses logiques principales comme : « chacun avance à son rythme », « faire intervenir des coaches plutôt que des enseignants » et « c’est au participant de progresser de façon autodéterminée ». C’est à nous de l’aider, de lui donner des outils dont il a besoin et de le soutenir en lui proposant des moyens pour évoluer dans son cursus personnel.

À l’aide de ce dispositif, nous mettons en application deux principes forts du modèle 42 : « quand on a du plaisir à apprendre, on s’en souvient » et « on va apprendre de nos erreurs ». En effet : chez nous, l’erreur n’est pas seulement acceptée mais elle est souhaitée ! Dans l’univers du codage, qui est très complexe, nous poussons nos étudiants à commettre des erreurs et à réessayer, sans abandonner aux premières difficultés.

Un autre pilier important de notre méthode didactique est le « Peer to peer learning » ou l’apprentissage entre pairs, que nous mettons en valeur par des rituels d’entraide adéquats et planifiés. Ce qui veut dire qu’à certains moments récurrents, tous les projets sont revus par les pairs lors de sessions en binôme. Les binômes sont tirés au sort et celui qui est évalué va utiliser un point, qu’il va devoir gagner à nouveau en évaluant à son tour.

Un système d’évaluation donc basé sur la confiance ?

Oui, c’est ça ! Dans notre école sans professeurs, on part du principe que nos étudiants sont capables d’évaluer le travail de leurs collègues. Bien évidemment, une méthode de contrôle nous permet d’assurer que l’évaluation objective prime. Nous avons observé que les moments d’évaluation favorisent les sympathies et la création de duos ou de groupes d’entraide solidaires. Quand on dit qu’il n’y a pas d’enseignants à l’école 42, ce n’est pas vrai, car tout un chacun peut profiter des apports de 180 profs par volée ! Ce qui représente un autre effet positif de notre modèle !

Quels sont les autres axes pédagogiques importants ?

La « Gamification » est sans conteste l’un des outils de motivation le plus efficace que nous déployons, car le participant apprend par la pratique, mais surtout, poussé par le plaisir de « jouer », il progresse de façon autonome.

Un autre aspect nous tient à cœur : nous ne sommes pas installés dans une notion de hiérarchie organisationnelle verticale et nos étudiants sont directement intégrés à l’organisation managériale de l’école – qui est d’ailleurs très horizontale. De notre point de vue, plus l’individu est responsabilisé dans son environnement global, plus il va pouvoir se dépasser et atteindre ses propres objectifs d’apprentissage.

Comme dans un « jeu vidéo »

Qu’en est-il de la mise en pratique ?

Le fait d’accepter la notion de rythme individuel du participant au sein d’un groupe est certes le défi le plus important que nous ayons à relever. Alors que les participants commencent tous leur volée en même temps – c’est d’ailleurs la seule date qu’ils reçoivent, chacun va avancer à un rythme différent ; ils vont passer leurs examens à des dates différentes et donc, terminer leur cursus à des moments différents. Organiser un tel système avec des professeurs est tout simplement ingérable, car la planification des cours dans une configuration comme la nôtre est purement impossible.

Nous avons donc supprimé les profs et toutes les notions d’horaires et, de fait, le planning annuel. A contrario, la technologie nous aide à gérer le parcours individuel du participant. Comme je l’ai déjà évoqué, nous avons remplacé le système de l’école classique par un outil numérique qui permet aux étudiants d’évoluer comme dans un « jeu vidéo » grandeur nature. Cette interface leur permet de résoudre seul et de dépasser les 21 niveaux qu’il faut pour avancer dans son cursus en effectuant des exercices et ainsi gagner des points d’expérience. Facilités par les avancées de l’informatisation, les « Serious games » sont des outils didactiques qui fonctionnent bien dans des collectifs d’adultes en formation à l’occasion des moments d’apprentissages individuels ou de partages en petits groupes.

Est-ce une référence à l’intelligence collective ?

Effectivement, dans notre environnement, les individus en mode d’ultra concurrence ne représentent qu’une écrasante minorité. Dans un contexte compétitif, le groupe se construit rapidement en mode de coopération. Donc, partant du principe qu’un participant ne réussira jamais seul, nous incitons nos étudiants à s’entraider dès les premiers instants. La solidarité naturelle se met d’ailleurs en place en environ deux jours dans une communauté composée de plus d’une centaine d’élèves. Ce qui est logique puisque « plus il y a de monde, plus il est possible de trouver facilement LA bonne personne pour nous aider ».

Étant financée par des partenariats avec des entreprises locales, l’école est gratuite pour les étudiants. Quelle en est la raison ?

Nous souhaitons que tous les talents puissent venir étudier le codage informatique et que l’argent ne soit pas forcément un frein à l’accession aux savoirs. Ce qui n’est, de prime abord, pas forcément évident puisque, ce n’est pas parce que l’école est gratuite que les étudiants n’ont pas besoin d’argent pour vivre à côté. Cet aspect est d’ailleurs en partie compensé par la flexibilité offerte par l’école : du fait qu’elle n’impose aucun horaire, les étudiants ont la possibilité de travailler en parallèle de leurs études. Puis, le fait de la gratuité nous évite d’être confronté à la problématique de devoir combler notre effectif pour des raisons économiques au risque de nuire à la qualité des résultats, car le niveau des participants ne serait pas conforme à nos exigences de base.

Cela dit, nous devons sans cesse lutter contre l’a priori qui dit que « Puisque c’est gratuit : ça ne vaut rien ! ». Notre réponse qualitative vient de notre système de sélection, qui ne comporte aucun prérequis d’entrée sauf celui, justement, de réussir le parcours de sélection ! 

Lequel est-il ?

Quand on parle de sélection, en réalité, c’est nous qui choisissons qui peut participer et qui ne le peut pas ! L’an dernier, 2 500 personnes ont réalisé les tests en ligne d’un peu plus de deux heures avec pour objectif d’accéder à l’une de nos « piscines ». Finalement, ce sont 180 étudiants qui ont été sélectionnés et qui ont commencé un parcours de formation autogéré de trois à cinq ans.

Qu’est-ce que la « piscine » ?

La « piscine » signifie que tout le monde plonge dans les profondeurs de la programmation et apprend à nager ensemble. Concrètement, c’est une période d’essai de quatre semaines au cours de laquelle les candidats découvrent les bases de la programmation à partir de zéro. 

Puisque vous choisissez qui peut étudier, quels sont vos critères ?

Nous choisissons des personnes qui ont des compétences ou plutôt, une manière de penser qui corresponde aux métiers de l’informatique. Elles ont également des profils qui conviennent au type d’école que l’on propose. Certains candidats ne se sentent pas du tout à l’aise dans une école dans laquelle nous ne sommes pas pris par la main par un professeur qui nous explique comment faire. L’autre notion de notre sélection, c’est la motivation : 100% de nos participants sont très motivés.

Pourquoi la motivation des participants est-elle aussi importante ?

Il ne faut pas un grand nombre de participants démotivés pour tirer tout le monde vers le bas.

Il est tout à fait normal d’être démotivé, à un moment ou à un autre de son cursus. Et, dès que l’on dépasse les 20-30% de personnes démotivées, c’est tout le système qui est en danger et risque de s’écrouler. 

L’humain au centre

La pédagogie active, telle que vous la proposez, est-elle accessible à tous les profils d’apprentissage ?

Certains, par habitude, vont attendre autre chose d’une école et vont détester notre manière de faire. C’est la raison pour laquelle la pédagogie active va plutôt convenir à des profils dits « atypiques ». Malheureux dans des structures hiérarchiques dirigistes et des apprentissages séquentiels, les personnes qui développent ce genre de profil vont se sentir nettement plus à l’aise dans une organisation collective et horizontale.

Qui dit « autogestion » dit risques de burnout ?

Vous avez raison. Le bien-être de nos équipes et de nos étudiants est une priorité importante pour nous. Si l’on ne connaît pas l’état de fatigue mentale de nos candidats quand ils arrivent chez nous, nous savons très bien – l’ayant testé, que la fatigue physique est une façon de lutter contre le burnout qui est, pour rappel, une fatigue mentale de longue durée.

Le fait de participer à une « piscine » fait vivre une fatigue physique intense de courte durée, car, si la majorité des participants réussissent leur parcours de sélection en 60 heures par semaine, certains auront besoin de 90 heures pour arriver au bout. Le fait que nous n’ayons pas d’horaire permet à nos étudiants de gérer leur fatigue en fonction de leur biorythme puisqu’ils viennent quand ils veulent. Ce qui les forcent à vite connaître leurs propres limites et de construire leurs propres outils de lutte contre le burnout. L’autre aspect problématique de l’autogestion est le fait de toujours repousser au lendemain ce qui peut être accompli aujourd’hui.

Justement, comment aidez-vous vos étudiants à lutter contre la procrastination ?

En leur donnant un délai butoir de trois mois, que nous appelons « blackhole », qui se déplace au fur et à mesure de l’avancement des projets, par exemple au début du cursus, il est de trois mois pour nous fournir les résultats d’une série d’exercices. Comme il ne faut qu’un mois, en moyenne, pour les terminer, si un exercice n’est rendu à temps, c’est que le rythme du cursus n’est pas respecté. Une exclusion en sera la sanction. Pour reprendre sa formation, l’étudiant devra se représenter aux sélections, refaire une « piscine » et tout recommencer depuis le début.

C’est un peu rude, non ?

De notre point de vue, exclure ceux qui ne savent pas s’autoresponsabiliser, c’est leur rendre service ! En réalité, nous les formons pour le marché du travail et si nous devons déjà être constamment derrière quelqu’un pour le motiver à venir à l’école, honnêtement : il ne fera pas un bon employé. 

Cependant, nous savons que mener une vie de famille et une formation à long terme n’est pas une chose facile. Donc, chacun peut se mettre en pause, sans justification, à tout moment et pour la durée qu’il souhaite pour 6 mois au maximum, et reprendre le cours de son parcours quand il le veut. Puis, comme je l’ai déjà dit : nous sommes très attentifs à l’état de nos étudiants. Notre équipe de coaches, dont le rôle est de gérer les règles de vie de la communauté apprenante, accueille également qui veut de façon permanente et propose un soutien personnalisé.

Pour cette première volée, sur les 182 étudiants inscrits, seuls deux d’entre eux n’ont pas rendu leurs premiers exercices dans le délai imparti et ont quitté l’aventure. D’ailleurs, le premier n’est venu qu’une seule fois et l’autre n’est en fait jamais venu ! Puis, deux autres participants se sont mis en pause car, disent-ils : la liberté n’est pas facile à gérer. Et, un troisième a tout simplement perdu sa motivation en cours de route. Il est vrai que la situation due aux conséquences de la pandémie n’a certainement pas aidé. Cependant, nous avons enregistré 20% d’abandons la première semaine de la dernière « piscine ». D’où l’importance de notre système de sélection.

Directeur de l’École 42 Lausanne, à la tête de l’entreprise de conseil « Management Digital », ainsi qu’à celle du nouvel institut de formation « xTRA Institute », Christophe Wagnière ambitionne depuis 25 ans de développer le capital humain et organisationnel afin de maîtriser la transformation digitale en regroupant ses passions pour l’informatique, la disruption, l’enseignement et le management.